La drôle de guerre, l'offensive des Ardennes en 1940. Prisonnier de guerre et évasion
Par Georges Krieger
Légion d'honneur (Chevalier); croix de guerre avec étoile d'argent (82ème division Marocaine); croix du combattant; médaille commémorative de la guerre; médaille de la libération; médaille des évadés; chevalier de la Santé Publique; chevalier des palmes académiques, commandeur du Nicham Iftikhar (Tunisien)
Né le 1er décembre 1907, à Oran, il avait vécu la guerre de 14-18, par toute
sa sensibilité d'enfant, mise à l'épreuve par les communiqués quotidiens
relatant les opérations militaires, les angoisses et les deuils des voisins,
le décès de son frère aîné, juste âgé de 20 ans, engagé volontaire à 19 ans,
frappé par une balle au cœur, aux Dardanelles .
La présence quotidienne des blessés : Sa sœur aînée était infirmière
bénévole au service de la Croix rouge et lui, innocemment, avec sa cousine,
jouait " à soigner ", elle infirmière et lui blessé. Les KRIEGER, dans leur
grande ville. d'Oran, accueillaient chaleureusement les blessés
convalescents. L'enfant voyait leurs plaies mal fermées et entendait le
récit de leurs souffrances, bouleversé par l'horreur du Front et des
tranchées.
La propagande n'épargnait pas la jeunesse et répandait une littérature de
haine insupportable. Il se souvient d'un livre " pour enfant ", intitulé "
Oscar et Rosalie ", où la baïonnette Rosalie jouissait d'armer le canon du
fusil Oscar, pour entrer dan: le ventre du "BOCHE ".
Pourtant, cette guerre, toute la famille y avait pleinement adhéré. Personne
ne s'était posé de questions sur le but et la légitimité du conflit :
reconquérir l'Alsace et la Lorraine, justification de tous ces sacrifices.
Mais chaque famille était profondément meurtrie.
La paix revenue, il poursuit ses études. Féru de littérature et doué pour
les langues anciennes, fort latiniste et bon helléniste, il a la passion des
livres et, attiré par la carrière de bibliothécaire, songe au concours de
l'Ecole des Chartes. Mais la rencontre d'un directeur des Archives l'en
détourne : il lui ouvrit son coffre-fort pour lui montrer, avec une fierté
dévot un vieil acte notarié partant la signature de Ravaillac.
Il fait ses études de Droit à Alger et à Paris. Licencié en droit à 30 ans,
il accomplit son service militaire obligatoire (18 mois) au 9éme régiment de
Tirailleurs algériens à Mostaganem. Car l'horreur de la guerre ne lui a pas
fait perdre le sens du devoir.
Grâce à ses diplômes, il est admis sans concours à l'Ecole nationale des
Impôts à Lyon, au moment où s'ébauche la fusion des administrations des
Contributions directes et de l'Enregistrement. A 1a sortie, il opte pour les
contributions directes, fonctions plus actives et de contacts humains.
Titularisé, il exerce en province, puis de janvier 1936 à juillet 1939 , au
Maroc, à la Direction des Finances.
Rentré en France et dans l'attente d'une nouvelle affectation, la guerre le
surprend. Le jour même de la déclaration de guerre par la France et
l'Angleterre, il embarque sur un navire, à bordeaux, à destination. de
Casablanca, pour rejoindre le 1er Régiment de Zouaves, unité de la 82éme
Division marocaine, avec laquelle il participera aux opérations de guerre en
France, de septembre 1939 à juin 1940.
Dés septembre 1939, il se trouve au nord de la France, sur la frontière
belge. Pendant les mois d'hiver de la « drôle de guerre ", la tâche de son
unité consiste en travaux de défense, puisqu’ aucune fortification ne
prolonge la Ligne Maginot, arrêtée à Stenay (Vosges Tracés et creusement de
tranchées, implantation de champs de rails, coulée de blockhaus, tout cela
dans le froid, la neige, et dans le terre glacée alternant à la boue.
Travaux suspendues à deux reprises par des alertes. La première , le 11
novembre 1939, entraînant une puissante concentration de troupes sur la
frontière. La deuxième, plus sérieuse, 1e 20 janvier 1940, décida le Roi des
Belges à autoriser les forces françaises à pénétrer en Belgique. Mais le gel
(-20°), blizzard et congères obligèrent au retrait, le jour même, l'alerte
étant d'ailleurs levée.
C'est plus tard , en mai 1940,que KRIEGER comprit, lorsque les forces
françaises, avec leurs meilleures unités mécanisées, pénétrèrent en Belgique
pour tomber dans la nasse, que les deux alertes avaient été feintes pour
démasquer le plan de l'État‑Major Français.
En Mars 1940, la 82ème division marocaine est transférée en Lorraine, pour
prendre position entre Forbach et Sarreguemines, au débouché de la Serre. Sa
mission est de boucher " un trou " dans la ligne Maginot, dans une zone
inconstructible constituée par les vastes Marais de Puttelange.
En cas d'attaque, les défenseurs, adossés aux marais, doivent tenir les
temps nécessaires à la montée de l'eau, commandée à ce moment par des
vannes, pour rendre la traversée impossible, ‑ les unités se repliant sur
des ponts de bateaux.
Pendant la " drôle de guerre ", ce fut d'ailleurs le seul endroit où
français et allemands se sont combattus avant l'offensive allemande dans les
Ardennes. De mars à mai, l'activité est constituée par des duels
d'artillerie et des accrochages nocturnes de patrouilles "dans le no man’s
land ', comprenant la ville de Sarreguemines évacuée.
La vraie bataille est déclenchée le 8 mai, par de violents bombardements
prolongés jusqu'au l3 mai. L'assaut final allemand sur la ligne de
résistance est contenu alors, grâce à 1a résistance des avant‑postes, dont
l'un tenu par la l1ème compagnie, celle de KRIEGER, seul rescapé avec quatre
hommes de son unité, sauvant le canon de mortier de la Cie, divers armements
et ..... leurs deux chevaux ensanglantés.
Leur citation à l'Ordre du Régiment souligne " leur conduite " élogieuse au
cours de la période du 12 au 18 mai 1940 et, principalement le 12 mai, où
sous un violent bombardement, ils se sont " acquittés avec courage,
sang-froid et méthode de leurs fonctions, "et ont permis de récupérer
d'importants matériels de la Cie."
Le 20 mai, le Colonel Fromentin, Cdt le 1er Régiment de Zouaves portait à la
connaissance du Régiment :" la conduite admirable " de la 11éme Cie qui,
encerclée dans le bois de l'Emerich " par un ennemi très supérieur en nombre
et particulièrement mordant, après avoir été soumise à un bombardement très
violent, a " résisté du 12 mai (4 heures du matin) au 13 mai matin, jusqu'à
" la dernière cartouche et à l'extrême limite de ses forces. Par son "
héroïsme et son abnégation, elle a dissocié le dispositif ennemi et retardé
son avance."
Relevée par des troupes coloniales et placée en réserve générale d' armée,
pour sa reconstitution, après ses lourdes pertes, la 82éme division s'est
portée, ensuite, en Champagne, pour couvrir Reims et la route de Paris, lors
du franchissement de l'Aisne par l'ennemi: Arrivée à l'aube, trop tard, elle
s'est accrochée à la .Montagne de Reims, contenant l'avance le jour,
contournée la nuit, se dégageant pied à pied, jusqu'à Epernay. Là KRIEGER
eut mission de rallier des éléments isolés à l'ouest d'Epernay. Il y réussi,
mais coupé de son. bataillon , il se replie avec un escadron de Dragons
porté, jusqu'à Semur, dans l'Yonne ou, pris à revers et encerclé par des
unités blindées, il est fait prisonnier. Par la suite, il parvint à
s'évader, en sautant d'un train en marche, pendant la nuit.
Pour KRIEGER, son action combattante s'arrête là et peut être conclue par
les termes de sa citation à l'Ordre de le 82Ème division :" Sous-Officier de
grande bravoure. S'est particulièrement distingué au cours des violents
combats livrés par sa compagnie " les l2 et 13 mai 1940. Le 13 juin., au
cours du repli de son bataillon, a été chargé de récupérer un détachement
isolé à Mareuil, au moment où l'ennemi franchissait le RU des Tarmauds, au
pont d'Oiry. A accompli sa mission difficile et ne s'est replié qu'avec les
derniers Dragons portés.
Prisonnier au Camp des Tanks à Troyes, dans 1'Aube, il ne songe qu'à
recouvrer la liberté. Un jour, une occasion semble se présenter les
prisonniers alsaciens sort invités à se déclarer, en vue de leur retour dans
leur province. Krieger n'a que quelques heures pour prendre sa décision. I1
ne sait .pas que, conformément aux conventions de l'armistice, l’Alsace est
déjà incorporée au Grand - Reich. . Mais il se souvient, opportunément,
qu'en 1915, tout enfant, il a vu apparaître deux cousins de son père, nés
après 1870, l'un médecin, l'autre pharmacien. Incorporés tous deux dans
l'année allemande, ils venaient de déserter et de rejoindre les lignes
françaises. Krieger réalise aussi que, n’ayant pas de domicile en Alsace,
son imposture sera vite reconnue. Il renonce à se déclarer et bien lui a
pris. Car, dés 1941 les alsaciens ont été incorporés dans l'armée allemande.
Ce sont les " malgré nous " qui, pour la plupart, périrent sur le front de
l'Est ou dans les camps de prisonniers soviétiques.
Par convois successifs, le camp se vide. Krieger ne peut éviter le dernier
départ ;" pour faire les moissons dans le Midi " leur dit-on. En réalité, le
train se dirige vers le nord-est, vers l'Allemagne. Pendant la nuit, KRIEGER
saute du train en marche. Après bien de péripéties, il peut gagner Paris ou
il entre caché dans une benne à ordures de la Ville de Versailles et reçoit
l’hospitalité du chauffeur italien, père lui même d'un soldat français
prisonnier.
En voyant, dans un café, sur un calendrier, un plan sommaire de la France,
il découvre l'existence de la zone annexée (l'Alsace) de zones interdites,
de la zone occupée ... et de la zone libre dans laquelle il décide de se
rendre aussitôt.
Il raconte, avec humour, les péripéties de son "itinéraire " de Paris à
Ruffec (Charente) et le passage de " La Ligne ".
" J'imaginais que tous les passants, à PARIS, voyaient que, mon camarade et
moi, étions des prisonniers évadés, à cause des vêtements dont nous étions
affublés et, surtout, de nos "grosses chaussures bruyantes". Car, sur les
routes que nous avions parcourues la nuit, jusqu'à Paris, nous avions eu
l'angoisse de croire que toute la France entendait le bruit de nos
godillots. Notre projet étant de nous rendre à pied de Paris à Bourges, la
ville libre la plus proche de la ligne de démarcation nous décidâmes
d'acheter des chaussures "silencieuses " à semelles de caoutchouc. Nouvelle
angoisse : sur les grands boulevards, en contemplation des chaussures
désirées, nous apercevons, dans le reflet de la vitrine, deux soldats
allemands qui, traversant la rue
Mais une réflexion plus sérieuse nous incite à prendre le train au lieu de
nous promener de longues nuits sur les routes. Sur nos nouvelles chaussures
désormais obsolètes, nous nous dirigeons vers la gare d'Austerlitz. Autre
bouffée d'adrénaline. Les quais et les bureaux sont encombrés de cheminots
allemand en uniforme. Et si on me demandait, au guichet, une pièce
d'identité que je n'ai pas ? Alors je demande à l' employé :` Je veux deux
billets " pour Rufec ", puis, je me reprends :" Non , excusez - :moi , je
n'ai ""pas sur moi mes pièces d'identité, je reviendrai..." Car de peur
d'être suspect, je ne voulais pas demander- s'il en fallait. A mon grand
étonnement, - Le cheminot me répond, avec un accent gouailleur très parisien
:" Ya pas besoin de papier... Alors, je vous les donne ou pas.. ça fait
vingt francs."
La même angoisse - ou plutôt le même souci de ne pas perdre cette liberté
toute neuve - les oppresse dans un train où circulent de nombreux militaires
allemands et dont il n'est pas question de sauter en marche à cause de sa
vitesse. Ils se montrent discret, sans entamer de conversations . Peu avant
Ruffec, le wagon s'était presque vidé. I1 ne restait plus qu'un paysan
rougeaud rassurant, auquel KRIEGER pensa qu'il pouvait s'adresser. I1 lui
demanda des renseignements sur la passage de la ligne de démarcation. Le
paysan lui conseilla de poursuivre jusqu'à Angoulème où il l'attendrait dans
la cour de la gare pour le conduite à sa ferme dont les terres étaient à
cheval sur la ligne de démarcatïon. Dernières émotions : pour sortir de la
gare, il faut demander au guichet un supplément pour le parcours
supplémentaire Ruffec - Angoulême.
KRIEGER se trompe et entre dans un bureau occupé par des cheminots allemands
.. qui l’orientent vers le bon guichet.
Le lendemain, en plein jour, KRIEGER franchit en courant la ligne de
démarcation et pénètre dans les bois de la zone libre, accompagné du paysan
qui prenait le risque d'être arrêté au retour.
En approchant d' Angoulème, sa joie, une courte seconde, se change en
panique. Sur un panneau rustique, à l'entrée d'une allée menant à un
château, lit : FORBACH" Quoi ? encore la "poche de Forbach" et Sarreguemines
" où il a combattu en mai ? Non, la Charente était le département d'accueil
des réfugiés de MOSELLE. L'évasion de KRIEGER avait une heureuse
conclusion..
De retour en France, dans la zone libre, après son évasion, KRIEGER reprend
ses fonctions d'Inspecteur des Contributions directes, à Condom (Gers)
Il ne s'explique pas l'armistice et estime que le gouvernement aurait du se
replier en Algérie et continuer la lutte, aux côtés de l'Angleterre , en s'
appuyant sur son immense empire colonial et dans. l'espérance légitime du
futur soutien des Etats Unis.
Il devait réaliser assez vite que les conditions favorables la poursuite
d'un tel combat étaient impossibles, sans l'appui d'une puissante industrie
d' armement. Il fallait donc accepter, provisoirement la défaite. Evadé, il
se fait discret, même s'il critique le vote des Chambres du Front populaire,
issues des élections de 1936, et ou siégeaient soixante‑dix pour cent de
parlementaires républicains.
Toutefois , l'armistice étant consenti, le choix du Maréchal Pétain lui
parait le seul qui puisse convenir aux français et aux allemands. Malgré son
cléricalisme et ses penchants réactionnaires, Pétain est le seul candidat
assurant l'unité nationale. Churchill craignait lui aussi que la division
n’amène une " bataille intérieure". Pour KRIEGER, ce n'était pas une
adhésion à Pétain. La voix des armes avait parlé . Mais il fallait encore
tenir et le vainqueur de Verdun, incarnant l' épopée militaire de la
première guerre mondiale, et à la gloire encore incontestée, pouvait seul
réunir les français. Qui, du reste, voulait du fardeau d'un gouvernement de
la défaite ? Personne ne s'était présenté et Daladier ou Reynaud ne pouvait
être écoutés des allemands. Les parlementaires, en désignant Pétain, en
avaient conscience, quand l'un d'eux, après le vote, déclarait :'' Nous
avons refilé le paquet au vieux: "
Mais défaite ne voulais pas dire collaboration. Par son évasion; KRIEGER
manifestait sa volonté de recouvrer la liberté, bien sur, mais de résister
au nazisme et à la fatalité de la défaite. Il faut commencer à vire les
temps difficiles dans une France vaincue et morcelée. Les privations, la
faim, la séparation des familles, l’absence des prisonniers, le doute sur
l'avenir, l'opportunisme, démoralisent et divisent les Français.
Certains perdent le sens de la solidarité et de l'honneur. Le bruit court
que les évasions entraînent des représailles contre les prisonniers restés
dans les camps. Des épouses malheureuses interpellent des évadés. Il y a des
dénonciations. KRIEGER en est averti.
Lors de la constitution du Service d'Ordre Légionnaire (SOL), on s'efforce,
sans succès , de le faire adhérer :" puisque vous êtes fonctionnaire, vous
devez obéir aux ordres du Maréchal " Il subit les pressions du Marquis de
Caussade, Président de la Légion, et des négociants qui s'enrichissaient
dans le commerce des eaux-de-vie d'Armagnac, vendues au prix fort, jusqu'à
épuisement des réserves, pour les besoins des troupes allemandes, enlisées
dans les neiges de Russie.
Il se confie à son ami, le docteur Deyris, fils de l'ancien député des
Landes, et chef clandestin d'un des deux réseaux de résistance du Gers
(l'autre étant le réseau communiste des Francs-Tireurs et Partisans). Ce
dernier appuie sa volonté de s'éloigner.. Grâce à ses relations, avec
J.Vaujour, ce dernier lui propose de prendre "le large " comme sous-préfet
de Corte.
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